lundi 22 septembre 2008

Le marquisat de La Palisse au XVIIIe siècle

Le marquisat de La Palisse fut érigé par Lettres royales en 1725 grâce à l'action et à l'influence de Gilles Brunet d'Evry (1683-1762), intendant de la Généralité de Moulins (1723-1729) qui avait acquis la seigneurie de La Palice dix ans plutôt. A l'origine, le marquisat de La Palisse rassemblait "la terre, justice et seigneurie de La Palisse, avec la réunion et incorporation à la dite terre de La Palisse des terres et justices de Montmorillon, Saint-Clément, La Presle, les Bouchaines et Saint-Prix, ainsi que les coseigneuries qui appartiennent audit sieur d'Evry dans les paroisses d'Ande, Bussoles, Loddes, Varennes-sur-Têche et Droiturier" (Archives départementales de l'Allier E 203)

Assailli par ses créanciers, Gilles Brunet d'Evry ne garda pas longtemps son marquisat puisqu'il le céda en 1731 (diminué toutefois des terres de Montmorillon, des Bouchaines, Saint-Clément et de La Presle qu'il préféra garder) à François-Antoine de Chabannes-Pionsat (1686-1754), descendant des sires de Chabannes qui avaient déjà possédé La Palice au XVe-XVIe siècles. Le marquisat de La Palisse passa ensuite par deux fois de l'oncle au neveu : de François-Antoine à Jean-Baptiste de Chabannes-Pionsat (1717-1782), puis de Jean-Baptiste à Jean-Frédéric de Chabannes-Curton (1762-1836) quatrième et dernier marquis de La Palisse.



Comment définir une seigneurie sous l'Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècles) ? Il s'agissait d'une construction territoriale plus ou moins vaste et plus ou moins complexe qui était loin de former un bloc homogène. Une seigneurie ressemblait en fait à une sorte de constellation de terres, de droits divers (les banalités notamment) et de justices. Le véritable seigneur était celui qui exerçait réellement son droit de justice dans des petits tribunaux de proximité, contrairement aux hobereaux de villages qui, en théorie étaient également seigneurs, mais n'avaient quasiment jamais l'occasion de jouir de leur statut de justicier. Il existait en moyenne deux à trois seigneuries par paroisse et seule une sur dix disposait d'un organe de justice permanent, peuplé de spécialistes du droit (les baillis, greffiers et procureurs fiscaux). Contrairement à la seigneurie médiévale, la seigneurie d'Ancien Régime était vidée de sa substance militaire (la fin de la chevalerie se situant au cours du XVe siècle). Les seigneurs continuaient cependant à percevoir des redevances, plutôt minimes, sur leurs sujets, notons au passage que le servage médiéval avait quasiment disparu au tournant des XVe-XVIe siècles. Retenons enfin que les seigneuries furent abolies durant l'été 1789, au lendemain de la fameuse Nuit du 4 août. Avec 22 000 livres de revenus à la fin du XVIIIe siècle, le marquisat de La Palisse était l'une des constructions seigneuriales les plus importantes du Bourbonnais.




Pour administrer les constructions seigneuriales de grande taille, les seigneurs employaient un groupe plus ou moins large d'agents seigneuriaux. Dans le cas du marquisat de La Palisse (schéma 1) , il s'agissait de sept agents (un bailli = juge et chef de l'administration seigneuriale, un greffier, un receveur, un procureur fiscal = avocat général du seigneur et trois sergents/gardes bois et chasse). Ces agents, souvent notaires de profession, étaient basés à La Palisse même, au pied du château (schéma 3) où se trouvait l'auditoire (salle de justice), la prison (dans une des vieilles ailes du château) ainsi que les lieux de perception des différentes banalités (droits d'usage obligatoires = péage, boucherie, moulin).

Entre 1724 et 1790 (débute de la liquidation des biens de la seigneurie de La Palisse), quatre baillis se succèdèrent à la tête de l'administration du marquisat de La Palisse : Edme de La Poix de Fréminville de 1725 à 1765, François Fauvre de 1765 à 1779, Jean-Baptiste de La Poix de Fréminville de 1779 à 1786 et enfin Christophe La Poix de Fréminville de 1786 à 1790 (futur maire de La Palisse de 1804 à 1808).


S. HUG


HUGSTEPHANE@aol.com

lundi 8 septembre 2008

Charles Jeannot, instituteur et photographe, 54 ans de vie lapalissoise

Enfance à Boucé

Charles Jeannot naquit à Boucé le 4 février 1868, cinquième enfant d'une fratrie de huit. Son père, originaire de Haute-Saône, était fils de paysans illettrés. Il était arrivé à Boucé en 1857 pour y exercer les fonctions d'instituteur public et y épousa en 1860 la fille du maire, issue d'une ancienne famille de métayers bourbonnais. De leurs huit enfants, deux filles décédèrent en bas âge. En 1875, l'aîné, enfant très doué, interne au pensionnat Saint-Gilles de Moulins et se destinant à la prêtrise, mourut à quatorze ans de maladie : ce fut un drame familial qui marqua fortement Charles alors âgé de sept ans.
Elève dans la classe de son père, Charles passa toute son enfance dans le village de Boucé. Poète à ses heures, il confia dans des vers de jeunesse, ses joies et ses peines, l'amour de son pays et celui de la femme de sa vie. Adulte, il ne prendra plus la plume que pour célébrer les grands évènements familiaux, mariages et baptêmes.
Suivant les traces de son père, il choisit le métier d'instituteur. Le 10 août 1886, il fut reçu au "Brevet de capacité pour l'enseignement primaire" délivré par l'Académie de Clermont.


Instituteur à Chapeau

Instituteur adjoint à Chapeau, il fut autorisé le 20 août 1890 par l'inspecteur de l'Allier "à ouvrir une école privée de garçons". Il succéda ainsi à Monsieur Chautard comme instituteur titulaire de l'école libre où il restera jusqu'en 1905. Durant toute cette période, son traitement s'éleva à 100 francs par mois. Il exerça également les fonctions de secrétaire de mairie pour une somme de 125 francs par trimestre et compléta ses revenus par des travaux ponctuels comme des expéditions d'actes, le recensement de population de 1896, des arpentages, de la comptabilité...
Le 29 août 1891, il épousa Anne Michalet, une cousine, née en 1870 à Boucé comme lui et qu'il connaissait depuis l'enfance. Modiste, elle continua à exercer à Chapeau après son mariage et, certains mois, il lui arrivait même de gagner plus que son mari. Ils eurent ensemble trois fils nés à Chapeau.



Charles Jeannot en famille en 1904

Instituteur à Lapalisse

Le 12 août 1905, l'inspecteur de l'Académie de Clermont l'autorisa à ouvrir à Lapalisse une "école primaire élémentaire privée laïque spéciale aux garçons". En octobre 1905, Charles Jeannot prit donc la direction de l'école libre de garçons située route de Bert, ancien pensionnat tenu par des frères maristes et fermé en 1904. Ses débuts, dans le contexte de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, furent, de son propre aveu, quelque peu difficiles (son salaire mensuel de 125 francs ne changea pas de 1905 à sa retraite en 1917).





Charles Jeannot et sa classe à Lapalisse en 1907, enbas, l'école libre de garçons de Lapalisse au début du XXe siècle







De même qu'il avait suivi l'enseignement de son père, ses trois fils furent élèves dans sa classe. L'aîné exercera la profession d'architecte ; le deuxième sera, la même année, diplômé de la faculté de pharmacie de Lyon et licencié ès sciences ; le troisième, enfin, fera des études d'ingénieur.

La photographie

Très tôt, Charles Jeannot s'intéressa à la photographie : famille, amis, voisins, scènes de ville et de campagne. La première trace d'une vente de photographie remonte en 1895 à Chapeau. Cette passion prit une importance plus utilitaire à l'époque où il fallut financer les études de ses enfants qui, pour ce faire, ont dû quitter le foyer familial, et ce d'autant plus que sa femme n'avait pas continué son activité de modiste à Lapalisse. La retraite venue, il s'installa comme photographe dans la maison qu'il avait achetée en 1920, rue du Commerce, devenue rue de la Fraternité, au numéro 3. Tandis qu’une enseigne fut mise au-dessus du portail d'entrée, les fenêtres du salon firent office de vitrine d'exposition. A plus de quatre-vingts ans, Charles Jeannot exerçait encore. Certains de ses clichés de la ville de Lapalisse ont été édités en cartes postales par l'imprimeur Chabert. Une de ses photographies, représentant une scène rare de défrichement, est d'ailleurs exposée au musée rural de Montaigu-le-Blin.



La demeure de Charles Jeannot à l'angle des rues du Commerce et de la Fraternité.
Les deux fenêtres à droite, en bas au rez-de-chaussée, servaient de vitrine.


La vie publique et associative

Homme simple et modeste, économe, fervent catholique, il resta toute sa vie profondément attaché aux valeurs de son enfance.
En juillet 1912, une vive polémique, par presse interposée, l'opposa à Auguste Coche, adjoint au maire de Lapalisse, radical-socialiste, à propos de la dégradation du monument aux victimes du coup d'Etat du 2 décembre 1851 qui remplaça une croix de mission édifiée en 1856 sur le champ de foire et déposée en février 1909 par la municipalité.
Sur l'initiative de Jean-Baptiste Ravidat, nouveau directeur de l'école libre de garçons, il participa à la fondation de l'Amicale des anciens élèves, "l'Amicale Saint-Joseph", dont la première assemblée générale eut lieu le 30 octobre 1927. Il en fut le président du bureau jusqu'à sa démission en 1930 en raison du décès de l'un de ses fils.





Charles Jeannot en 1948



En août 1951, la célébration de ses noces de diamant fit l'objet d'un court article paru dans la presse locale.
Veuf depuis 1956, Charles Jeannot mourut à 91 ans le 10 novembre 1959 à Lapalisse où il fut enterré.

Florence TRIPETZKY (c)

Arrière-petite-fille de Charles Jeannot, historienne de formation et passionnée de généalogie.

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email de l'auteur : ft.genea@laposte.net

dimanche 7 septembre 2008

Le canard à la Duchambais

Si cette recette est une pièce maîtresse du patrimoine culinaire de notre province, les avis divergent quant à ses origines : pour certains, elle aurait été mise au point par un curé de la région montluçonnaise, pour d'autres, plus nombreux, elle prit naissance au début du XIXe siècle dans la région de Lapalisse.

En 1815, au lendemain de la défaite de Waterloo, une bonne moitié nord de la France fut occupée par les troupes coalisées. Des Wurtembourgeois, des Autrichiens et des Russes stationnèrent de la sorte dans le Pays de Lapalisse. D'après la mémoire collective, un détachement de cavaliers autrichiens prit ses quartiers chez les Maillant-Duchambais à Droiturier. La cuisinière de la maison prit l'habitude de seconder le cuisinier de l'officier dans la préparation de mets "à l'autrichienne". Quelques mois après le départ des Autrichiens, cette même cuisinière servit, au cours d'un repas concluant une partie de chasse organisée par M. Duchambais, un lièvre à "l'autrichienne" où vinaigre et crème fraiche se mariaient harmonieusement dans une sauce onctueuse. La renommée de cette recette ne faisait que commencer. Si, peu à peu, les bases de la sauce à la Duchambais se fixèrent, elle n'accompagna plus seulement du lièvre, mais plus couramment du canard.

Comme souvent, la longueur et les précisions de certaines recettes de cuisine décourageraient toutes les bonnes volontés à force de les présenter comme autant de sommets à vaincre. Cependant, dans la réalité, les choses en vont autrement : votre serviteur s'est essayé au Canard à la Duchambais, personne sous son toit n'a eu à en souffrir...

Fort heureusement, Thierry Wirth, auteur bien connu des Vichyssois, nous a aimablement communiqué la recette de la sauce et du canard à la Duchambais contenue dans son ouvrage Le Mangement bourbonnais (Editions des Trois Roses - 2003).

Ce classique bourbonnais est le résultat de l’utilisation de la fameuse sauce Duchambais (voir à ce chapitre).Pour ce faire, découper un canard en morceaux et le faire revenir à la cocotte avec du lard et de l’échalote grossièrement hachés. Déglacer avec un demi-verre de vinaigre et mettre un peu de farine et le foie émincé. Passer au four quelques minutes. Mouiller de bouillon. On peut aussi utiliser le vin de Saint-Pourçain à la place du bouillon. Rectifier l’assaisonnement.Cuire au four couvert. Terminer avant de servir avec une bonne louche de crème.Certains n’ajoutent le vinaigre qu’au moment de servir, au lieu de déglacer avant la cuisson.On voit qu’il existe des variantes importantes (vin au lieu de bouillon, déglaçage ou pas, huile de noix pour dorer les morceaux avant de mettre le lard, marc avant le vin…) typique des recettes régionales qui varient suivant les cantons, et j’allais même dire, suivant les familles.

LA SAUCE DUCHAMBAIS


Sauce typiquement bourbonnaise qui se sert avec tous les rôtis : boeuf, veau, porc mais aussi les volailles et le fameux canard à la Duchambais.Le nom de Duchambais serait selon certains, celui d’un curé de l’ancien régime.Voici d’abord la recette de base :Faire revenir du lard maigre avec de l’échalote hachée. Si on a des débris de viande, les faire roussir et les ajouter. Mettre un peu de farine, persil, cerfeuil, thym et laurier. Lorsque le tout est bien “tombé”, mouiller d’un verre à liqueur de vinaigre et d’un litre de bouillon.Cuire une heure et demie. Passer la sauce, ajouter un bon verre de crème et laisser bouillir jusqu’à formation d’une sauce onctueuse.Il existe une recette plus élaborée que consigna jadis le président de la société gastronomique “Le Piquenchâgne”. Elle provient parait-il d’une famille de Montluçon depuis plus de 150 ans à travers les générations.La voici dans son intégralité:“Le râble de lièvre, ou de lapin, ou de chevreuil, ayant préalablement mariné pendant quelques jours, on le fait rôtir au four bien enduit de beurre, et même pour le lièvre ou le lapin, on peut le barder d’une légère barde de lard de chaque côté.Il reste bien entendu que la marinade a été faite avec un bon vin vieux rouge assez corsé; marinade à froid : oignons en rondelles, carottes, persil, thym (pas de laurier), une bonne cuillerée d’huile d’olive, une ou deux de vinaigre, sel, poivre; gibier arrosé et retourné plusieurs fois.Donc le rôti est au four; arroser souvent; au moment de déglacer, au lieu d’employer de l’eau pure on ajoute une cuillerée de porto ou de madère pour deux cuillerées d’eau et un peu de marinade.Pendant ce temps, mettez dans une casserole une tranche de foie de veau pour la faire cuire à l’étouffée avec du beurre frais; qu’elle ne soit pas desséchée. Hachez-la finement, puis pilez-la au mortier en ajoutant un peu de vin rouge pour en faire une pâte extrêmement fine, une sorte de purée onctueuse; la passer au tamis très fin. La réussite de la sauce exige qu’on ne reconnaisse pas, en la dégustant, les grains de foie de veau, qui doit servir de liaison, un peu comme la farine.Incorporer de la moutarde peu à peu dans le foie pendant qu’on le malaxe dans le mortier.Pendant cette opération, dans le beurre qui a cuit le foie, couper un oignon et une demi gousse d’ail et faire dorer légèrement. Puis enlever l’oignon et l’ail et commencer le roux de la sauce avec une bonne cuillerée de farine; pour donner au roux une belle couleur, ajouter une pincée de sucre en poudre. Le roux doit être mouillé avec le même vin que celui de la marinade. Pour ne pas faire la sauce trop épaisse, ajouter un peu de bouillon.`Verser alors dans la sauce le foie pilé avec la moutarde en tournant toujours avec la cuillère en bois. Quand la sauce est arrivée à l’ébullition, la passer dans une passoire fine et la laisser bouillir sur le coin du fourneau après y avoir ajouté du porto ou du madère, en tournant de temps en temps. Cette sauce gagne à mijoter assez longtemps à feu doux après que le roux a été fait.Un quart d’heure environ avant de servir, mélanger de la crème fraîche à la sauce et au dernier moment le jus de cuisson du rôti; la sauce doit rester assez épaisse et onctueuse, comme une crème.Naturellement, la sauce est assez relevée en sel et poivre.Pour servir, on nappe le rôti de quelques cuillerées de la sauce et le reste est servi dans une saucière bien chaude.Proportions : 75 gr de foie, un grand verre de bon vin vieux rouge, un verre de madère ou de porto, un grand verre de crème fraîche, 2 cuillerées de moutarde, sel, poivre, une pincée de sucre en poudre, une gousse d’ail, un oignon, un peu de bouillon, la marinade. Ces proportions conviennent pour six personnes de bon appétit.Commencée la veille et bien réchauffée, pour y adjoindre au dernier moment le jus de rôti et la crème, elle n’en est que meilleure”.Et d’ajouter quelques considérations : “On peut sans crainte forcer sur les épices; personnellement, j’emploie plusieurs gousses d’ail, quatre ou cinq qui, bien cuites, n’ont pas d’inconvénient. Je préfère le foie de porc, trouvant que sa saveur s’allie mieux que celui du veau à celle du gibier.


S. HUG