mercredi 13 janvier 2010

LAPALISSE FOCUS 50-60 -Première partie -

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Découvrez la deuxième partie de Lapalisse Focus 50-60
Découvrez la troisième partie de Lapalisse Focus 50-60
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Cette série d’articles intitulée LAPALISSE FOCUS 50-60 a pour but de faire revivre l’hier des Lapalissois, le point zéro de notre modernité, là où la société de nos pères disparut et où la nôtre naquit.
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Au début des années 1950, le poids de la guerre se faisait encore sentir sur notre ville. La municipalité de Charles Bécaud, lui-même déporté, était principalement composée d’hommes de la Résistance qui, même s’ils regardaient vers l’avenir, communiaient autour d’une « politique du souvenir ». On achevait alors de rebaptiser certaines rues du nom de résistants locaux ou de celui des grands vainqueurs du conflit. Les Anciens Prisonniers de Guerre formaient une puissante et dynamique association qui, chaque année, organisait à l’Hôtel de l’Ecu une soirée dansante étonnement appelée la « Nuit des barbelés ». Si les échanges agricoles avaient vite repris, beaucoup de gens ignorent de nos jours qu’un système de rationnement fonctionna tout de même jusqu’en 1948-1949, notamment pour le charbon et le carburant. Des années noires, notre ville gardait encore deux traces : le marché couvert, partiellement incendié en 1943 par des Résistants, ne fut reconstruit qu’en 1954, quant à la sous-préfecture, déplacée à Vichy en 1941, l’espoir de la voir revenir sur les bords de la Besbre s’amenuisait année après année. Désormais, Lapalisse n’était plus qu’un simple chef-lieu de canton et pour ceux qui l’avaient connue avant-guerre, la ville avait perdu du coup un peu de son urbanité. La guerre était profondément inscrite dans la mémoire des familles qui en avaient souffert et elle rejaillissait devant les yeux de chacun les jours de commémorations. Cependant, la vie avait repris ses droits (les témoignages sont d’ailleurs nombreux à ce sujet) et l’évocation collective de la guerre (au bistrot, au commerce du coin, à l’usine, sur le marché ou sur le champ de foire) était plutôt rare et se faisait même parfois sur un ton badin (un peu à l’image de la clientèle du café Hénault de Tigreville dans Un singe en hiver d’Antoine Blondin). Parmi les anecdotes les plus racontées, figurait en bonne place celle de ce GI’s noir qui, à la fin de l’été 44, perdit le contrôle de son camion, défonça la rambarde du pont et finit coincé dans sa cabine à l’aplomb du lit de la Besbre.
Au début des années 50, Lapalisse était encore fortement immergée dans le monde rural. Le moteur n’avait pas encore totalement relégué le cheval au rang de témoin d’une autre époque. A la forge Boisseau, grande ouverte sur la rue, (aujourd’hui démolie, située à l’angle de la rue Roosevelt et de la Place du marché) presque tous les jeudis, les fermiers des environs avaient encore l’habitude de venir faire ferrer leurs chevaux. Il n’était pas rare de croiser, au détour d’une rue, une charrette ou un véhicule, créé pour les besoins de son propriétaire, tiré par des chevaux : pendant de longues années les marchands de bois et de combustibles de Lapalisse (Maston sur l’avenue de la gare, Bécaud, rue du 4-septembre et Bertucat, rue Baudin) continuèrent ainsi à livrer leurs clients avec des charrettes, M. Buvat, le patron du café de La Marguerite accomplit jusqu'au milieu des années 50 le service d'ébouage pour le compte de la municipalité à l'aide d'un tombereau tiré par un cheval. Combien de Lapalissois se souviennent aujourd’hui que le corbillard municipal eut un cocher jusqu’en 1957 ?



Cliché pris en 1950 juste en face de la librairie Guillot, au bout du pont (collection Getty)



A cette époque, alors que le marché du jeudi dominait la semaine lapalissoise, la foire du deuxième jeudi de chaque mois continuait à faire battre (un peu moins fort qu’avant) le haut de la ville. Tous les jeudis, les Faubourgs (l’actuelle Place de la République) se transformaient en une gare routière improvisée en accueillant l’ensemble des cars qui assuraient les navettes avec les bourgs environnants. Les jours de marché, une animation extraordinaire s’emparait de ces cars ruraux, à l’intérieur desquels les passagers voisinaient avec les caisses grillagées contenant des volailles ou des lapins, avec de grands paniers remplis d’œufs, de légumes frais, de motte de beurre ou de pots de crème. Beaucoup se souviennent encore de l’impressionnant chauffeur de car Dégoutte, un ogre jovial de plus de cent cinquante kilos qui prenait ses quartiers sur la place, dans le café-épicerie Tartarin, afin de s’attarder jusque sur les coups d’une heure de l’après-midi devant un prodigieux casse-croûte.
Le commerce lapalissois vivait en partie de la manne des campagnes. Les paysans venaient régulièrement acheter leur vin chez Roussel, sur la rue Nationale, créant à l’occasion… de beaux embouteillages. Des bouilleurs de crus installaient chaque année leur alambic Place du gaz, Place du Champ de foire, dans l’arrière-cour du café Barnabé (aujourd’hui démoli, rue Winston Churchill), ou bien encore à la Petite-Gare (l’actuelle place Jean Bécaud). De nombreux commerçants lapalissois réalisaient également des tournées quotidiennes ou hebdomadaires dans les campagnes : les boulangeries Marache, Moussière, Lapendry, Chervin, les bouchers Brolles, Rivière, Boufferet, Fafournoux, le Casino, le Familistère, l’épicerie Faure, les vêtements Volpi, Tamin, Laborbe, Bartois et Rousset.
Pour les habitants des villages environnants, Lapalisse était l’image même de la ville. L’usine Barthelot (une centaine d’employés à l’époque) leur ouvrait une fenêtre sur ce monde industriel dans lequel le travail était parcellisé, réglé et où l’on ne touchait sa paie qu’une fois par mois mais en étant sûr à l’avance de ce que l’on allait gagner.
Le tissu urbain lapalissois était encore truffé d’interstices offrant des images venues du passé. Certaines rues étaient encore pavées (la rue Notre-Dame, celle où l’on s’esquintait les genoux à la sortie du catéchisme, mais aussi la rue de la Prairie et une partie de la rue de la Fraternité), de nombreuses Lapalissoises faisaient encore leur lessive dans des lavoirs de quartier (rue de la Prairie, rue Baudin, route de Bert, au bord de la Gièze) ou sur les berges de la Besbre (l’usage de la selle à laver – petite planche inclinée – était encore très répandue). Quelques secteurs de la ville n’étaient pas encore électrifiés à l’image d’une grande partie de l’avenue de la Gare ou de la route de Roanne et le réseau d’adduction d’eau n’atteignait pas encore les quartiers de Montplaisir, des Bruyères et le haut de l’avenue de la Gare. Pourtant, beaucoup de Lapalissois cultivaient alors leur urbanité et il n’était pas rare d’entendre des familles s’enorgueillir de cuisiner et de se chauffer au gaz de ville. Cependant, la vétusté des installations de « l’usine Collignon », comme on l’appelait alors, entraîna sa fermeture en 1955. Pour tenter de réduire la distance sociale qui les séparait des Lapalissois, les gens de la campagne avaient d’ailleurs l’habitude (et ils la conservèrent pendant longtemps) de « s’habiller en dimanche » pour venir dans cette ville où l’on remarquait tout de suite que leur parler roulait encore beaucoup trop d’accents patoisants. En réalité, le langage lapalissois était lui-même entaché d’une belle macule bourbonnaise qui devint d’ailleurs la grande arme de séduction politique de Lucien Colon (maire de la ville entre 1959 et 1971 et conseiller général entre 1951 et 1974) lorsqu’il prenait la parole à l’Assemblée départementale.


Il existait bel et bien une certaine fierté d’être Lapalissois et un indéniable attachement à sa ville. Même si Lapalisse était la porte d’entrée (une authentique ville-étape) du Bourbonnais pour tous ceux qui venaient de Lyon ou de Roanne, être Bourbonnais ne voulait pas dire grand-chose à Lapalisse à une époque où le vaste monde commençait encore aux frontières du quotidien. Lapalisse formait alors un vrai microcosme, au sens premier du terme, c’est-à-dire un petit monde qui se définissait d’abord par lui-même, avec ses riches et ses pauvres, ses familles d’origine étrangères (les Morandi, les Balducci, les Solak, les Glanowski, les Kempa, les Aït-Bara), ses illuminés (l’éternel Robic et l’ineffable Totor Poyet) et ses marginaux, tel le fameux Cabanon, un pauvre bougre vivant dans une bicoque le long de la rivière Têche qui, les jours de marché et de foire, avalait tout rond des grenouilles contre quelques piècettes. Un petit monde sur lequel pesait une énorme pression sociale : l’œil communautaire surveillait les faits et gestes de chacun.

(à suivre...)

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