vendredi 29 mars 2013

Les souvenirs d'en France de Madeleine Charles

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Il y a deux ans,  Jean-Charles Ailhaud nous avait permis de faire la connaissance de la famille Charles de Servilly - (retrouvez La Saga des Charles sur PALICIA). Cette fois-ci, le maître santonnier marseillais nous livre les souvenirs de sa mère, Madeleine Charles, lorsque enfant, chaque été, elle franchissait la Méditerranée pour venir passer les deux mois d'été en Bourbonnais, auprès de ses grands-parents paternels et maternels. Pour cette fillette vivant sous le soleil de la Tunisie, le dépaysement était total. Soixante ans plus tard, au soir de sa vie, Madeleine Charles-Ailhaud, livra à son fils une description fidèle de sa famille du Grand Champ à Servilly.
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"Mes grands parents CHARLES habitaient à Servilly, à l’autre bout du département sur une propriété qui s’appelait : le Grand Champ. Pour aller de Commentry à Servilly, il fallait prendre un train le matin jusqu’à Gannat. Là, on changeait de réseau, on passait du « Paris-Orléans » au « PLM ». Aucune synchronisation entre les deux réseaux. Trois heures d’arrêt. Puis on arrivait à Saint Germain des Fossés où on attendait encore une heure ou deux une correspondance pour Lapalisse. Cela faisait une journée entière dans la fumée des trains, des quais et des gares sales, des salles d’attente non chauffées. Tout ça pour un voyage de 90 km….Cette incommodité explique le petit nombre de déplacements effectués, et la quasi indifférence qui me liait à mes grands parents paternels. Ceci, jusqu’au moment où Denise, ma sœur, et moi, nous avons effectués les voyages seules.
Ces expéditions datent sans doute de 1922 au moins. Denise avait fait de nombreux voyages avec mes parents, des traversées Marseille – Tunis et était dégourdie et rodée. Moi, je suivais…..
Au Grand Champ, mes grands parents habitaient la moitié d’une longue ferme. L’autre moitié étant occupée par mon Oncle, ma tante Marie et leurs filles.
Deux appartements bien distincts avec une grande cuisine et deux chambres chacun.

Mon grand père Antoine était quelqu’un qui inspirait le respect. Il était cultivé, musicien (jusqu’à la mort de mon père en 1914), distingué et aimable. Plus ou moins retiré des affaires, il avait laissé la ferme à sa fille quand mon oncle Simon avait dû abandonner son métier de boulanger à Ebreuil. La farine lui donnait des crises d’asthme. Pour lui c’était une planche de salut, mais pour ma tante, c’était une déchéance. Dans la boutique d’Ebreuil, c’était une Dame, s’habillait coquettement, avec des tabliers blancs amidonnés, de grands cols brodés, un bouquet de fleurs sur le comptoir, et bavardait amicalement avec les clientes. Revenir à la ferme, c’était dégringoler dans l’échelle sociale. Elle était restée soignée dans sa tenue, mais les tabliers étaient en satinette fleurie. Elle cultivait des fleurs au jardin, sur les rebords des fenêtres et autour du puits. Mais plus de bavardages, mais le travail fastidieux, monotone, épuisant entre l’étable et la laiterie. Désenchantée, désabusée, amère, elle avait les yeux tristes, un sourire aimable et on la sentait en retrait.

Mon oncle, un brave homme, était un rustre, borgne, l’air un peu hagard, ne parlant pas un très bon français mais un patois entrecoupé de jurons. Déçu, lui aussi, mais travailleur. Un couple désassorti au départ, et la vie n’a rien arrangé.
Ils avaient deux filles : Simone née en 1913 et Georgette 3 ans après. Nos cousines, nos amies, nos sœurs.



Ma grand-mère que nous appelions « maman nénette » avait dû être très jolie, blonde, la peau claire, un visage avenant. Elle était entrée chez les CHARLES comme servante. Les grands parents de mon père avaient été élevés en aristocrates et se seraient crus déshonorés de s’abaisser aux vils travaux de la ferme. Il y avait un ouvrier agricole pour aller aux champs et une servante pour s’occuper de la maison. Ma grand-mère, vaguement apparentée, était entrée dans la place très jeune, sa scolarité ayant été écourtée. Elle ne savait ni lire ni écrire mais savait très bien mener son ménage et ses comptes. Elle parlait patois et faisait des fautes terribles, qui nous amusaient beaucoup, quand elle voulait parler français. Mais elle avait bien d’autres qualités. C’est elle qui avait accueilli ma mère en lui faisant un compliment inattendu lorsque mon père l’amena pour la première fois à Servilly : « Oh ! la belle garce !!! ». Mon père traduisit aussitôt : « un gars – une garce » mais comme entrée en matière il y a mieux !….. "
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(Photos - collection J.C Ailhaud - en haut, Madeleine Charles enfant, au centre, Madeleine Charles accompagnée de sa soeur Denise et de sa Grand-mère, en bas, Madeline Charles au Grand Champ à Servilly)
 
S. HUG

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