mercredi 16 mars 2011

Une histoire du zinc - e-interview de Noëlie Morlat, figure de l'ancien Hôtel du Commerce à Isserpent.


L’évolution des consommations prises au comptoir au cours du XXe siècle est un thème encore inexploré par les historiens. La question peut sembler au premier abord anodine et pourtant l’enjeu est de taille. Tout en conservant la trace de ces petits riens qui peuplent notre vie quotidienne et qui donnent de l’épaisseur à l’homme historique, s’intéresser aux alcools, liqueurs et autres digestifs, c’est également prendre la mesure de la vitesse à laquelle la modernité a envahi cet espace de communion sociale que constitue le bistrot. Grâce à l’une des plus fidèles lectrices de Palicia, Noëlie Morlat, figure de l’Hôtel du commerce à Isserpent, plongeons-nous dans cette histoire des zincs d’hier.


Pouvez-vous nous parler de l’origine de votre établissement et de son évolution ?


La maison achetée par mes parents en 1922 datait de 1841-1842. Elle avait été construite par un fils Berthelot sur un terrain acheté par sa famille le 21 messidor de l’an IV avec d’autres biens nationaux comme bien domanial de la République. Ce premier cabaret, avec musique et jeux, était composé d’une grande pièce avec une grande cheminée, à côté, une petite pièce qui devait servir de chambre, un escalier en pierre de Volvic donnait accès à une grande salle qui occupait tout le premier étage. Quelques années après, le propriétaire de l'époque ajouta tout à côté une écurie avec remise et quatre chambres à l’étage ce qui lui permettait de loger les voyageurs et leurs chevaux. Le cabaret Berthelot fut démoli en 1933 et un nouveau bâtiment fut alors construit par mes parents. A cette époque, il y avait quatre cafés-auberges à Isserpent. Le Comité des Fêtes, très actif, décida de donner un nom à chacun : l'Hôtel de la Poste (Moussière), l'Hôtel du Nord (Clair), Le Central Hôtel (Gay) et l'Hôtel du Commerce (Morlat).

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Mariage de Marcel et Madelaine GAY en 1935 devant l'Hotel du Commerce à Isserpent. Le couple tint le Central Hotel (actuel garage Magnet) pendant 2 ans avant de partir à PARIS. "Le petit café où nous avons vécu cette courte période était animé par de folles parties de misti qui était un jeu d'argent déjà à l'époque où le tiercé n'existait pas ." (souvenirs de Madeleine GAY). Jean GAY, boulanger, frère du marié et futur maire d'Isserpent est au second rang en partant du haut avec sa fille Huguette sur le bras. Le petit garçon tout au bout à droite du premier rang est Jean MORLAT (frère de Noelie MORLAT) qui continua à improviser pour gerer l'entreprise avec ses deux soeurs.Aujourd'hui, ses deux fils et ses deux belle-filles continuent d'être à l'écoute des clients


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Mon père a toujours suivi les évolutions économiques du temps. En plus du commerce traditionnel des grains, du charbon et du vin, il fut ainsi l’un des premiers a vendre de l’essence à Isserpent. Les bistrots furent les pionniers des stations-services. Pendant l’Occupation, du fait des restrictions et des rationnements, mon père réorienta une partie de ses activités autour du commerce du bois et du transport public, il effectuait ses livraisons avec un camion fonctionnant grâce à un gazobois. Nous avons arrêté l'hotel-restaurant dans les années 60 afin de mieux continuer à répondre aux évolutions des besoins de la clientèle rurale. Il fallait arracher les haies et les arbres et faire de la culture. On nous promettait des beefsteaks de pétrole... mais l'élevage est revenu. Il avait fallu improviser pour faire face à cette avalanche de céréales humides - nom générique qui regroupait le maïs grain, le tournesol et le colza - (transport avec multibennes, séchage et stockage) et aussi les livraisons de fuel. Ma mère était une fine cuisinière : son fond de sauce, cétait sacré, elle ne le laissait jamais faire par quelqu'un d'autre. Il fallait que carottes, oignons, os de veau soient saisis à vive température juste avant de brûler. Après une lente et longue cuisson, truffes, morilles, madère, cognac, crème et jus de veau, apportaient leur summum. Pendant quarante ans, la clientèle du restaurant-hôtel avait été très variée : des représentants, des instituteurs, des médecins remplaçants, des charretiers, des gens du bâtiment, etc... Il fallait tenir un registre des voyageurs épluché frequemment par les gendarmes et qui fut supprimé plus tard par Giscard pendant sa présidence. Nous accueillions également des banquets de conscrits, d’anciens combattants, des noces, mais aussi des sorties d’enterrements et de services de quarantaines et de bout de l'An. Devant l’affluence des grands jours, il fallait déplacer notre colossal billard russe qui trônait au milieu de la salle du restaurant.


Quelles étaient les boissons reines durant l’Entre-deux-guerres ?

A ma naissance, en 1925, tout existait déjà en vins, liqueurs et spiritueux et cela depuis le XIXe siècle, sauf le Pernod 40° qui avait remplacé l’absinthe interdite au début du siècle dernier. Le mélé-cass (vin blanc cassis), l’ancêtre du Kir, la chopine de vin rouge, la gnole étaient le quotidien des habitués. Le pernod occupait une grande place (tomate avec de la grenadine et perroquet avec de la menthe). La bière en été, seulement en canette de 50 cl avec capsule à partir de l’installation de la Meuse à Moulins. Mais aussi de la limonade (Saint Alban notamment) des panachés et des diabolos, sans oublier l’eau de Vichy (Vichy-Fraise) et le blanc limé, très à la mode à l'époque. En hiver : café, grog et vin chaud. A l’époque, le Champagne était plus servi que le mousseux, dans des coupes et non dans des flûtes.


Quelles étaient les boissons les plus prisées par la gente féminine dans les années 30-40 ?

Le petit Quina servi dans un verre spécial, genre verre à Bordeaux. En fait, c'était un vin naturel sucré. Il y avait aussi le Frontignan, le Madère, le Picardan, le Malaga, le Muscat, le Porto (très à la mode dans les années 60), le Cherry brandy.

Quelles furent les boissons nouvelles arrivées après 1945 ? Comment furent-elles introduites ?

Après s'être contenté le plus souvent de sirops de citron et de cassis pendant le Guerre, tout le monde se jetta sur les nouveautés. L'arrivée des Américains en France, le retour des prisonniers après cinq années de captivité dans différents pays d'Europe, puis l'occupation par les troupes françaises de certaines zones libérées du centre de l'Europe furent autant de facteurs qui ont encouragé les changements. Le Coca-Cola explosa, la consommation de la bière se généralisa à toute l'année et non plus uniquement lors de la période estivale, le wisky, la wodka (avec un glaçon), le ¼ Perrier connut un gros succès et différents sodas (Vivor, Pschitt, Orangina), la gamme Pampryl qui eut l’originalité d’offrir aux consommateurs des jus de fruits non gazeux (une révolution pour l’époque). On commença à proposer à notre clientèle du jus de fruit déshydraté de la marque RIO que l’on préparait à la demande. L’arrivée également de digestifs au goût anisé, aromatisés au cacao, mais aussi à la Suze. Les représentants insistaient sur certains produits. Je me souviens en particulier du Berger « Midi, 7 heures, l’heure du Berger » mais cela n’a pas pris. Ricard fut concurrencé par Pastis 51, mais Ricard était déjà le ROI du comptoir. Pour faire connaître les produits, les représentants accrochaient des petits cadres publicitaires à l’intérieur et à l’extérieur.

Existait-il des boissons plus « aristocratiques » que consommaient volontiers les notables afin de marquer leur statut social ?

Peut-être le Vermouth-cassis et la suze-citron, deux boissons à base de gentiane, arrosées avec un siphon d’eau de Seltz.


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S. HUG


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