samedi 11 février 2012

Les années noires racontées par Odette Schwartz (Première partie)

Beaucoup de Lapalissois ignorent aujourd’hui que notre ville fut durant la Seconde Guerre Mondiale un refuge pour de nombreuses familles israélites du Nord et de l’Est de la France qui avaient fui l’avancée des troupes nazies. Soucieux de conserver la mémoire de cet exil intérieur, PALICIA vous propose le témoignage de Madame Odette Schwartz qui vécut à Lapalisse de juillet 1940 à juin 1944.

Dès le début du mois d’août 1939, Strasbourg ville frontière est évacuée de tous ses habitants qui sont dirigés par l’Etat vers le Périgord et ses environs. Notre famille s’est repliée d’abord sur un village appelé Itterschwiller sur la route des vins à 40 km de Strasbourg, puis à Obernai, à 30 Km de Strasbourg .Le 10 Juin 1940 mon père est rentré à la maison en s’écriant “ les Allemands arrivent nous partons jusqu’à la frontière espagnole s’il le faut !“. (Mon père avait fait la guerre 14-18). En une heure de temps nous avons mis quelques effets dans le camion de notre commerce, déchargé une partie des chaussures et fait de la place pour des amis s’ils souhaitaient partir avec nous. C’est ainsi que nous sommes partis sur les routes de France. Nous avons suivi un triste cortège de gens qui fuyaient, entassés sur des charrettes, à bicyclette ou tirant des charriots.

Nous avons dormi de façon improvisée pendant quatre jours : d’abord dans un manoir à Nuit St Georges, ensuite à la belle étoile, puis sous un abri de fortune (mon père était très ingénieux), et enfin sur le sol d’une école .....
Au bout de quatre ou cinq jours nous sommes arrivés à Lapalisse, nous avions fait 17 kilomètres dans la journée !
Pour chercher un peu de répit, nous nous sommes arrêtés le long d’un trottoir devant une fenêtre ouverte, une dame très gentille nous a invité à entrer chez elle et nous a servi une collation. Pendant ce temps notre père est allé chercher un hôtel en mesure de nous héberger, nous étions épuisés, affamés et “l’Hôtel des Flandres” avait des chambres disponibles. Nous pouvions enfin dormir dans un vrai lit !

Le lendemain matin, en sortant de nos chambres pour continuer notre route, nous nous sommes trouvés nez à nez avec des soldats allemands. Ce fut l’une des rares fois où je vis mon père avoir les larmes aux yeux. Nous nous sommes arrêtés là. Cela ne servait plus à rien de continuer.

Au bout de quelques semaines, il nous devenait de plus en plus pénible de manger dans la salle où triomphaient les soldats allemands. Mes parents ont cherché à se loger d’une manière moins précaire. Un notaire nous a trouvé un gentil pavillon, nous a donné quelques meubles et un peu de matériel de cuisine car la maison était vide. Mes parents ont acheté des lits. C’est ainsi que nous sommes restés quatre années jusqu’à ce que mes parents soient arrêtés par les Allemands le 30 juin 1944. J’ai échappé de justesse à cette rafle, j’ai rejoint ma soeur qui travaillait dans un hôpital à l’Arbresle près de Lyon. J’y reviendrai par la suite.





La famille Schwartz à Lapalisse en 1944




Quand nous nous sommes installés à Lapalisse, nous habitions à côté du marché, c’était bien animé une fois par semaine. Nous avons été bien accueillis, quoique tout ne se soit pas fait en un jour, nous avons eu des contacts avec d’autres réfugiés alsaciens et lorrains juifs et non juifs. Nous avions de bonnes relations avec nos voisins et avec des paysans qui venaient de la campagne alentour pour vendre leurs produits au marché. Au bout d’un certain temps, on s’est lié d’amitié avec certains d’entre eux qui venaient parfois se réchauffer l’hiver à la maison. J’allais au Cours complémentaire que j’aimais beaucoup, ma soeur suivait à Vichy des cours de comptabilité et de secrétariat. Mon père cultivait un jardin, élevait des poules, maman tenait la maison. Les jours passaient, loin de toutes nos affaires, de nos meubles, de nos souvenirs : notre coeur était resté en Alsace. Pour la vie religieuse il n’y avait aucun lieu de culte, chacun fêtait la Pâque, “Pessah” et le nouvel an “Roshachana” chez lui en famille.

En 1942 commençaient à courir des informations : les allemands demandaient aux jeunes non actifs de travailler en Allemagne. Mes parents craignant que ma sœur, qui avait alors 22 ans, soit concernée, cherchèrent un travail pour elle. Des amis réfugiés lorrains, les Daniele, les mirent en relation avec la mère supérieure d’un hôpital près de Lyon à l’Arbresle. C’est là que ma soeur Raymonde, sous une fausse identité, a trouvé un travail d’aide soignante, secrétaire, comptable, auprès de la Directrice Soeur Marie Alice. Raymonde eut une profonde affection pour elle et moi aussi. Nous l’avons suivi bien des années après la guerre, jusqu’à la fin de ses jours

A partir de 1942 nous avions de terribles nouvelles de ma famille restée à Paris. Trois de mes cousins germains ont été arrêtés lors de la rafle du Vel d’hiv. Nous pensions encore qu’il s’agissait de travaux forcés en Allemagne. Qui pouvait imaginer l’horreur qu’ils ont vécu ? Ils ne sont jamais revenus...

A Lapalisse nous étions entourés de sympathie, les seules brimades que nous ayons connues, émanaient d’une famille doriotiste qui habitait au coin de notre rue. Nous suivions les mouvements des Américains et des Russes, les actes de la résistance, mais aussi, hélas, les représailles de l’armée allemande.

J’avais de bonnes camarades de classe. En 2004 nous avons organisé une rencontre des anciens, c’était très touchant. Certains m’ont manifesté leur sympathie sachant que mes parents avaient été déportés, nous continuons de nous téléphoner avec quelques uns.

Côté ressources, nous avons vendu tout le stock de chaussures que nous avions dans notre camion ainsi que ce dernier avec lequel nous étions arrivés. Nous avions l’allocation aux réfugiés d’Alsace Lorraine, une maigre retraite d’ancien militaire de mon père (il avait été 10 ans à la légion étrangère, avait fait la guerre 14-18, puis, gendarme-interprète lorsque l’Alsace était redevenue française). Il n’était pas question de faire des dépenses futiles. Mon père et moi partagions une bicyclette; mon père se déplaçait pour aller au ravitaillement, au jardin qu’il cultivait et à la pêche pour varier notre nourriture.
Moi, je faisais des promenades avec des amis et camarades et allais parfois dans des fermes pour un peu de ravitaillement. La vie suivait son cours. Puis vint l’allégresse. Les Américains ont débarqué en Normandie : enfin une lueur d’espoir ! Puis vint le malheur....


(A suivre...)
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Odette Schwartz

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