mardi 7 août 2012

Avant le lancement de l'Atlas Historique du Bourbonnais sous l'Ancien Régime : radiographie de la question.


L’Ancien régime est le parent pauvre de l’historiographie de notre province. L’essentiel de la production historique bourbonnaise se développa en effet autour des thématiques de la grandeur passée du Duché des Bourbon (XIVe-XVe siècles) et des luttes politiques et syndicales contemporaines liées à la question du métayage (dernier quart du XIXe siècle - première moitié du XXe siècle). (1) L’étude des XVIIe-XVIIIe siècles, qui aurait justement pu constituer un trait d’union entre ces deux bastions historiographiques, fut en grande partie délaissée. L’absence d’un pôle universitaire en sciences humaines implanté justement dans le département de l’Allier n’a jamais permis de créer une dynamique de recherche capable de dégager la quintessence de la modernité bourbonnaise (comprenez l’ensemble des caractères sociaux, économiques et politiques ainsi que les mentalités propres au Bourbonnais des XVIIe-XVIIIe siècles). (2) L’essentiel de l’effort de recherche sur l’Ancien régime bourbonnais, fut donc porté à bout de bras par les sociétés d’histoire locale : Société d’émulation du Bourbonnais, Société Bourbonnaise des Etudes Locales, Centre de Recherches Archéologiques et Historiques de Vichy et de sa Région, ou encore les Amis de Montluçon. Parmi une production érudite généralement de bonne facture, les travaux de Jacques Lelong se détachent par leur rigueur et leur vision d’ensemble. Auteur d’une remarquable étude sur le Bocage bourbonnais au XVIIIe siècle parue en 2005, Jacques Lelong avait déjà eu le mérite, vingt ans plus tôt, de contribuer de la plus belle des façons à La Nouvelle Histoire du Bourbonnais d’André Leguai (1985) en signant la seule synthèse réalisée à ce jour sur l’Ancien régime bourbonnais. (3) Inspiré par les travaux des grands modernistes français des années 1960-1970, notamment Pierre Goubert et Emmanuel Le Roy Ladurie, Jacques Lelong fut le premier à brosser un panorama dynamique de la société bourbonnaise des XVII-XVIIIe siècles, rompant de la sorte avec la vision résolument passéiste et profondément statique qui avait court jusqu’alors. Quelques belles études furent également réalisées à l’échelle des villes et des pays. Citons en premier lieu Le pays gannatois dans son cadre auvergnat et bourbonnais à la fin de l’Ancien régime d’André Freydière (1958), Moulins en 1660 de Marie Litaudon (1961), Choses et gens du pays de Montmaraud aux XVIe-XVIIe siècles de Gilbert Martin (1963) et tout récemment, Montluçon et les hôtels nobles (XVe-XVIIIe siècles) de Samuel Gibiat et Isabelle Michard (2006). Les travaux d’Henriette Dussourd sur les communautés familiales du centre de la France rassemblés en 1975 dans le remarquable Au même pot et au même feu, constituent à ce jour la seule étude portant sur un groupe social précis des XVIe-XVIIIe siècles. (4) En amateur éclairé, René Soudry nous livra également deux belles études sur la paysannerie vivant en marge du Berry et du Bourbonnais : La vie rurale vers 1700 entre Berry et Bourbonnais (2000) et Léonard Dhier, marchand fermier en Bourbonnais (2002). De belles pages furent également écrites sur l’Ancien régime bourbonnais dans le cadre de monographies communales, je pense en particulier à l’Histoire de Cusset de Paul Duchon (1972) ou à La force des choses, Châtelus-en-Bourbonnais de Jean-Gabriel Jonin (1989). Dans un tout autre registre, la saga familiale des Meilheurat de Guy Kokoreff parue en deux tomes en 1989-1990 sous le titre De la charrue au château, retraçait l’ascension sociale d’une famille de laboureurs des Basses-Marches du Bourbonnais du XVIe au tout début du XIXe siècle. (5)
L’Ancien régime bourbonnais souffre également d’un réel déficit d’image au niveau du grand public. (6) Si la volonté de développer des événements culturels autour de notre passé est à l’origine de la création des foires médiévales de Souvigny et de Chantelle, aucune initiative n’a pour l’heure permis de porter sur les fonts baptismaux des manifestations mettant en scène la société bourbonnaise de l’Ancien régime. Il est par ailleurs intéressant de noter que faute de gloires littéraires ou artistiques bourbonnaises des XVIIe-XVIIIe siècles, aucune commémoration ne permit de créer un engouement local pour l’époque moderne. Mis à part le Pont Régemortes et le Quartier Villars, œuvres des intendants moulinois du siècle des Lumières, il est bien difficile aux habitants de l’Allier de rattacher d’autres édifices ou d’autres sites à la modernité bourbonnaise. Il en va de même de la forêt de Tronçais qui constitue pourtant l’un des héritages les plus originaux de l’Ancien régime sur notre sol et qui malheureusement n’est pas automatiquement associée à l’histoire du Grand Siècle et à l’œuvre colbertienne.
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(1)- Les études médiévales bourbonnaises restent marquées par deux les travaux de deux enseignants-chercheurs d’envergure : André Leguai (1923-2000), professeur à l’Université de Dijon,  Le Bourbonnais pendant la Guerre de cent ans : de la seigneurie à l’Etat, Moulins, 1969, 434 pages et René Germain, professeur à l’Université de Saint-Etienne, Les campagnes bourbonnaises à la fin du Moyen Age, 1370-1530, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1987, 366 pages et Chartres de franchises et fortifications au duché de Bourbon, Société culturelle du Pays gannatois, Gannat, 2005, 602 pages. Les études d’histoire contemporaines furent quant à elles dominées par l’œuvre de Georges Rougeron (1913-2004), ancien Président du Conseil général de l’Allier, notamment, Le département de l’Allier sous la Troisième République (1870-1940), Montluçon, Typocentre, 1965, 416 pages. L’histoire rurale possède un très bon spécialiste en la personne d’André Touret, auteur des Campagnes bourbonnaises il y a cent ans, Nonette, Editions Créer, 1999, 275 pages.
(2)- Parmi les travaux universitaires d’histoire moderne soutenus par des étudiants devant l’Université de Clermont-Fd, notons en particulier : Mlle Charlier, Démographie et subsistances à Lapalisse au 18e siècle, Mémoire de maîtrise, 1965, Michel Naudin, Moulins à la fin de l’Ancien régime, Mémoire de maîtrise, 1966, Daniel Minard, Etude de la société rurale et des conséquences de la Fronde en Bourbonnais au milieu du XVIIe siècle, Mémoire de maîtrise, 1968 et Jean-Noël Barraud, Le métayage dans l’élection de Moulins de 1700 à 1789, Mémoire de maîtrise, 1983.
(3)- Jacques Lelong, Le bocage bourbonnais sous l’Ancien régime : seigneurs, propriétaires, paysans, Paris, L’Harmattan,2006, 292 pages.  Belle contribution dans La Nouvelle Histoire du Bourbonnais, sous la direction d’André Leguai, Le Coteau, Editions Horvath, 1985, 663 pages.
(4)- Alfred Freydeire, Le pays gannatois dans son cadre auvergnat et bourbonnais à la fin de l’Ancien régime, Vichy, Imprimerie Wallon, 1958, 444 pages, Gilbert Martin, Choses et gens du pays de Montmaraud aux XVIIe-XVIIIe siècles, Tome I, Moulins, Imprimerie Pottier, 1963, 264 pages, Henriette Dussourd, Au même pot et au même feu : étude sur les communautés familiales agricoles du centre de la France, Moulins, Imprimerie Pottier, 1962, 159 pages.
(5)- René Soudry, Léonard Dhier, marchand fermier en Bourbonnais, Editions de l’Echoppe, Paris, 97 pages, 2002 et La vie rurale vers 1700 entre Berry et Bourbonnais, Editions de l’Echoppe, paris, 358 pages, 2000. Paul Duchon, Histoire de Cusset, Cusset, Les Amis du vieux Cusset, 1972, 1104 pages, Jean-Gabiel Jonin, La force des choses, Chatelus-en-Bourbonnais aux confins du Forez, Editions des Cahiers du Bourbonnais, Charroux, 1989, Guy Kokoreff, De la charrue au château, Editions des Cahiers du Bourbonnais, Charroux, 1989, 266 pages.
(6)- Notons cependant ici, le remarquable travail de La Chavanée, association culturelle basée à la ferme d’Embraud (Château-sur-Allier), qui s’efforce depuis 1959 de collecter, de conserver et surtout de faire vivre la culture populaire bourbonnaise et les « visites théâtrales » mises en scène chaque été depuis 2005 au château de Saint-Géran-de-Vaux dont le but est d’entraîner le visiteur dans les pas d’un avocat du XVIIe siècle chargé de résoudre la curieuse, mais véridique, affaire de l’enlèvement du tout jeune Bernard de La Guiche, dont la fortune fut pendant longtemps convoitée par une branche cadette des La Guiche.

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