samedi 30 novembre 2013

Le curé Souvaignat et l'esprit du Concile de Trente


Face au développement du protestantisme, l’Eglise catholique romaine se réunit en Concile dans la ville italienne de Trente (1545-1563) dans le but de consolider la foi chrétienne et de reconquérir le cœur des fidèles. Réaffirmant les bases du dogme catholique, les sept sacrements, la notion de Salut, le culte des Saints et le rôle de la Pastorale, ce Concile énonça également l’idée de lutter contre certaines formes de religiosité proches de la superstition ou de la magie blanche. Dans la paroisse de Lubier, le curé Antoine Souvaignat (desservant de 1638 à 1677), fut confronté en 1657 à un étrange vœu partagé par plusieurs maisonnées :


Aujourd'hui onzième février 1657, ayant été pleinement informé de certain vœu qui avait été indiscrètement connu par les maîtres et chapitres des confréries, de certaines maisons de cette paroisse dont les noms seront ci-après spécifiés lequel vœu portait, était et observait qu’il n’était nullement permis aux dites maisons de faire cuire la viande, à savoir de la chair, chaque jour de mercredi de chaque semaine ; et que néanmoins il était permis et licite d’en user et manger pourvu qu’elle n’ait pas été cuite dans la maison. Ayant jugé qu’un tel vœu était plus fondé sur la légèreté d’esprit et la superstition que sur un bon fondement de piété et de religion, et qu’il donnait plus de sujets de risée et d’occasions d’offenser Dieu qu’(il n’apportait) de mérites, nous avons changé ledit vœu en œuvres pieuses dont la liste suit, (et ce) en vertu de la licence et du pouvoir qui nous est accordé par le Jubilé universel accordé par Notre Saint Père Alexandre, par la providence divine Pape VII, en date du 11 juillet 1656, l’an second de son pontificat, par lequel il permet de changer toutes sortes de vœux, à la réserve du vœu de chasteté et de religion, qui nous a été envoyé par l’ordonnance de Mgr Louis d’Estaing, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège apostolique évêque de Clermont en date du 8 décembre 1656.

Donc, les maisons ci-après spécifiées donneront tous les ans à l’église paroissiale de Notre-Dame de Lubié, pour le vœu susdit dont elles ont été relevées et dispensées, à savoir :

- Les Martins : 2 livres d’huile pour être brûlées dans la lampe devant le St-Sacrement.

- Les Coquets, 2 livres pour la mesme fin.

- Les Jaboin dicts le Train, 2 livres.

- La Maison de Charles Cousturier, 2 livres.

- La Maison d’Anth(oin)e Berger, 2 livres.

- La Maison de Denys Battet, 2 livres.

- La Maison d’Hugues Cousturier, dict Brossard, 1 livre.

- La Maison de Jacques Desmeux? dict Brossard, 1 livre

- La Maison de George Rigondet, 1 livre.

- La Maison de Claude Masonat, 1 livre.

- La Maison de la veuve de feu Pierre Forjat, 1 livre.

                                                                                       Signé Souvaignat



(Archives Départementales de l’Allier)

lundi 25 novembre 2013

Pierre Thiers, ancien capitaine du XV de France (Droiturier)

Pierre Thiers en 1936 lors de la première sélection nationale 
( il fut 9 fois international et fut par 3 fois capitaine du XV de France  )
L'équipe de l'ASM, finaliste du championnat de France en 1937 (Pierre Thiers est accroupi à droite)
Pierre Thiers en 1996 
 
Pierre Thiers naquit en 1914 à Thiers, dans une famille de couteliers. Il débuta le rugby au Lycée Blaise Pascal, puis rejoignit le Clermont Université Club avant de signer à L'AS Montferrandaise en 1935. Demi de mêlée, Pierre Thiers fut sélectionné pour la première fois au sein du XV de France le 17 mai 1936 à l'occasion d'un match face à l'Allemagne, il fut également par deux fois finaliste du championnat de France avec l'ASM en 1936 et 1937. Mobilisé en 1940, fait prisonnier, Pierre Thiers s'évada du stalag en 1942. Devenu capitaine du XV de France au début 1945, il joua son dernier match international le 28 avril 1945 face à une sélection de l'Empire Britannique. A l'automne 1945, le demi de mêlée asémiste rejoignit le SA Thiers où il termina sa carrière quelques saisons plus tard. 
Au point de vue professionnel, Pierre Thiers travailla au sein de l'entreprise familiale de coutellerie Thiers-Issard dont il assura la direction dans les années 80. Possédant une maison à Droiturier, Pierre Thiers y vécut pendant de longues années jusqu'à sa disparition en 1997.

S. HUG

dimanche 24 novembre 2013

Privat-Joseph Brillaud : penser l'Eglise dans le Siècle

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Si la figure de l'abbé Déret domina la vie lapalissoise (et pas seulement paroissiale) durant la seconde moitié du XXème siècle, le chanoine Brillaud eut une stature quasi identique un siècle plus tôt.

Né à Bourbon-l'Archambault en 1831, Privat-Joseph Brillaud sortit du grand séminaire de Bourges avec un doctorat de Théologie en poche. Aumônier de l'Institution du Bon-Pasteur à Moulins et chanoine de la Cathédrale de Moulins, ses compétences administratives et juridiques lui permirent de devenir très tôt secrétaire général de l'évêché. Curé de Saint-Germain-des-Fossés de 1864 à 1873 (il laissa lors de ce passage une Histoire du pélerinage de Notre-Dame de Saint-Germain-des-Fossés parue en 1867), P.J Brillaud devint curé de Lapalisse en septembre 1873 et le demeura jusqu'à sa disparition brutale le 17 août 1890. Privat-Joseph Brillaud fut l'un des plus brillants ecclésiastiques bourbonnais du XIXe siècle. Doté d'une grande puissance de travail, il mena une réflexion de fond sur la nature du droit canon et les pratiques canoniques durement écornées en son temps par le droit civil naît de la Révolution. Il signa trois études particulières : un Traité pratique des empêchements et des dispenses de mariage en 1872, un Manuel de la juridiction ecclésiastique au for extérieur et spécialement au for contentieux en 1885 et Les principes du droit ecclésiastique, exposé simple et méthodique en 1887.


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S. HUG



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jeudi 21 novembre 2013

Jean Duflos : un poète fauché à la fleur de l'âge


 
Maison natale (dite Maison Turlin) de Jean Duflos, située sur l'avenue du Donjon à Lapalisse


Fils d'un Receveur particulier des Finances, Jean Duflos naquit à Lapalisse le 28 octobre 1879. Après de solides études au Lycée Stanislas, Jean Duflos rejoignit l'Ecole Spéciale Militaire d'où il sortit sous-lieutenant en 1902. Passé lieutenant en 1904, il épousa la même année à Moulins Marie Méplain, issue d'une vieille famille de la magistrature bourbonnaise. Prenant part à plusieurs campagnes militaires en Algérie ainsi qu'en Tunisie entre 1906 et 1912, Jean Duflos fut promu capitaine en août 1914 et prit le commandement de la 5e compagnie du 19e bataillon de chasseurs à pied. 

 
Jean Duflos en compagnie du Général Lyautey en Algérie (collection O. Duflos)

 
Le capitaine Duflos sur le front en 1914 (collection O. Duflos)


Jean Duflos trouva la mort à la tête de ses hommes le 27 septembre 1915 lors de l'attaque de la ferme Navarin, près de Souain en Champagne. Son corps, pulvérisé par un obus, ne fut jamais retrouvé.
Jean Duflos publia très tôt des poèmes dans la revue moulinoise de La Quinzaine bourbonnaise qui malheureusement ne firent jamais l'objet d'un recueil.


Extraits de poèmes de Jean Duflos in, Anthologie des écrivains morts à la guerre (1914-1918), E. Malfère, Amiens, 1924-1926, Tome IV.

Un immense remerciement à M. Olivier Duflos, arrière-petit fils de Jean Duflos.
S.HUG

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jeudi 14 novembre 2013

Louis Mandrin en Pays lapalissois (décembre 1754)

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A la fin des années 70, la première chaîne de télévision diffusa un feuilleton retraçant les aventures de Louis Mandrin qui, en son temps, s'autoproclama lieutenant-général des contrebandiers du royaume. Alors que tout le pays suivait les frasques de Jacques Mesrine et la cavale de James Drouart dans les Bois Noirs, une telle programmation avait quelque chose de surréaliste, voire de subversif. Je me souviens que ma grand-mère pestait lorsqu'elle me voyait regarder ce feuilleton et se demandait comment on pouvait montrer sans vergogne les tueries du "vieux Mandrin" (en Bourbonnais, le terme de "vieux" peut également désigner une personne de mauvaise renommée). A l'époque, je ne comprenais pas le décalage qui existait entre le scénario flatteur du feuilleton télévisé et le jugement de ma grand-mère nourri par la mémoire collective des gens de la Montagne bourbonnaise.

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Issu d’une famille autrefois aisée de petits négociants-marchands de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, Louis Mandrin (né en 1725) fut condamné à mort par contumace le 27 juillet 1753 à la suite d’une rixe mortelle. Le même jour, son frère Pierre, fut pendu pour faux-monnayage. Louis Mandrin décida alors de se lancer dans une guerre contre la Ferme. Le Ferme était alors une organisation financière et fiscale tentaculaire qui avait pour vocation de prendre «à ferme » l’ensemble des taxes indirectes perçues dans le royaume. Les grands financiers de la ferme (les Fermiers généraux, de quarante à quatre-vingt dix selon les périodes) avançaient au Roi (toujours à court de numéraire) le produit estimé de ces taxes et recevaient en contrepartie le droit de lever ces mêmes impôts en réalisant au passage de substanciels bénéfices. Le Fermiers Généraux avaient de plus le droit d’entretenir un personnel (23 000 dans tout le royaume) attaché à leur structure : les Guapians.


"Taille cinq pieds, quatre pouces (1,65 m), cheveux chastains tirant beaucoup sur le blond, courts et non frisés, yeux gris ou roux, enfoncés, sourcils non fournis, visage gros, ovale, un peu marqué de petite vérole, nez proportionné et assez bien tiré, la bouche assez grande, un peu enfoncée, le menton un peu pointu et un peu avancé en dehors." (rapport de police)

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Mandrin entra dans une bande de contrebandiers qui opérait entre les cantons suisses, la France et la Savoie. Il en devint vite le chef et compta près de 300 hommes sous ses ordres. Mandrin cachait ses dépôts d'armes et de marchandises en Savoie, se pensant hors d'atteinte des Français. Achetant des marchandises en Suisse (tissus, tabac, toiles, épices, peaux…), il les revendait dans les villes françaises à la barbe et au nez des Gabelous.


Durant l'année 1754, Mandrin organisa six campagnes. ce fut lors de sa sixième et dernière campagne que Louis Mandrin traversa le Pays lapalissois. Partie à la mi-décembre 1754 de la région de Besançon, la troupe du lieutenant-général des contrebandiers du royaume, galopa à travers la Bourgogne avant d'arriver en Bourbonnais le 22 décembre vers 4 heures du matin. A Dompierre-sur-Besbre, quatre gendarmes furent dépouillés par la troupe de Mandrin, à sept heures du soir, les contrebandiers traversèrent Vaumas et passèrent la nuit au prieuré de Floret (Trézelles). Le lendemain matin, dimanche 22 décembre, la troupe passa à Lapalisse et arriva au Breuil où l'équipée prit un tour tragique. A l'approche de la cohorte, estimée à trente-cinq cavaliers, une femme du bourg courut vers l'auberge d'Arpaja en criant qu'il fallait avertir les "Gâpians". Mandrin et ses hommes se ruèrent aussi sur l'auberge où ils abattirent deux employés de la Ferme de Vichy et en tuèrent deux dans un champ voisin. Le capitaine de la brigade, Gilbert Bourage, fut quant à lui grièvement blessé et succomba à ses blessures quelques jours plus tard. Le registre d'Etat-civil du Breuil conserva la trace de ce bain de sang :

"L'an mil sept cent cinquante-quatre et le vingt-trois décembre. Monsieur le Bailli de Saint-Martin, juge du Breuil, accompagné de ses officiers et d'un chirurgien, a fait l'enlèvement de quatre employés de la brigade de Vichy nommés Jean-baptiste Simon, Antoine Ronas, Charles Camus, Charles Blanchardet, qu'il nous a dit avoir été tué le vingt deux à coups de fusil par la bande de Mandrin. Après qu'il a eu posé le cachet sur leur front, ils ont été inhumés dans le cimetière de cette église en présence de François Durantet, Laurent Feriat, Sergiers Germain et ClaudeTachon, tous de cette paroisse qui n'ont pu signer de ce enquis selon l'ordonnance."

Mais revenons à cette journée du vingt-deux décembre. Après avoir fait boire leurs chevaux dans une fontaine (dénommée par la suite "fontaine de Mandrin"), la troupe fila sur Châtel-Montagne où elle fit panser ses blessés et acheta des chevaux. En fin de journée, à Saint-Clément, les contrebandiers assassinèrent le couple de meuniers qui exploitait le moulin du château du Chêne, car ils se refusaient à leur indiquer la route de Saint-Priest-Laprugne. La bande passa la nuit à Cervières. Le lendemain, Mandrin passa en Forez. De là, le lieutenant-général des contrebandiers traversa le Livradois, le Velay, le Vivarais, le Dauphiné, la Provence et arriva en Piémont le 24 janvier 1755.




Si Mandrin traversa le Pays lapalissois en moins d'une demi-journée, sa mémoire demeura longtemps dans nos campagnes. Ainsi, dans les Bois de la Vallée (Droiturier), on racontait qu'il avait caché son trésor au fond de l'étang de Godinière, tout près de là, un énorme rocher, rappelant vaguement un siège, était appelé "Trône de Mandrin". Au Breuil, la "Fontaine de Mandrin" (photo ci-dessus) est devenue un élément du patrimoine communal.
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La Ferme générale, exaspérée par ce « bandit » toujours plus populaire, demande le concours de l'armée du Roi pour l'appréhender. Mais Mandrin parvint encore à se réfugier en Savoie. Les fermiers généraux décidèrent alors de violer la frontière savoyarde. 500 gabelous déguisés en paysans mettent la main sur Mandrin à la ferme fortifiée de Rochefort-en-Novalaise. Lorsque le Roi Charles-Emmanuel III de Sardaigne apprend cette intrusion sur son territoire, il exige la restitution du prisonnier. Louis XV s'exécute. Mais les fermiers généraux, pressés d'en finir avec Mandrin, accélèrent son procès. Jugé le 24 mai 1755, Mandrin fut roué vif à Valence le 26 mai, devant 6 000 curieux, sans que le supplice lui arrache un cri.
S. HUG

dimanche 3 novembre 2013

1640 : révolte antifiscale à Moulins.



Le plus étonnant dans la révolte actuelle des Bonnets rouges bretons ce n'est pas tant l'explosion sociale, qui tôt ou tard devait arriver, que la résurgence d'un symbole enfoui dans la mémoire bretonne depuis près de quatre siècles : preuve éclatante que l'identité de cette région est une réalité vivante. Ce symbole nous renvoie donc à une révolte populaire du XVIIe siècle dirigée contre la fiscalité royale et notamment contre le Papier timbré, c'est-à-dire une marque fleurdelisée et taxée qui officialisait les actes judiciaires ou notariaux. Sous l'Ancien Régime, près de 40 % des insurrections, révoltes, émotions ou autres soulèvements populaires furent liées au refus de la fiscalité royale (Jean Nicolas, La rébellion française, PUF, 2000). Si toutes les provinces du royaume furent touchées par ces mouvements souvent spontanés, la palme de l'agitation antifiscale  revint au Bassin parisien, à la Bretagne et au Languedoc. Sous l'Ancien Régime, alors que le Bourbonnais était réputé plutôt calme, les révoltes antifiscales y furent pourtant présentes : huit furent répertoriées par André Leguai entre 1610 et 1709. La révolte moulinoise de 1640 fut la plus sérieuse.

Le 23 juin 1640, le « menu peuple » s'assembla avec « armes à feu » et se transporta au logis du petit dauphin, situé au faubourg d'Allier, où résidait Jacques Puesche, « commis à la levée des taxes sur les aisés ». Les émeutiers assassinèrent Puesche et « quelques autres de sa compagnie », puis volèrent les « deniers que ledit defunt Puesche avait alors recueillis ». Selon les pièces de procédure, les maire et échevins qui se portèrent sur les lieux, furent accueillis à coups d'arquebuses et de mousquets. Un échevin fut d'ailleurs grièvement blessé. Au total, l'historien soviétique Boris Porchnev, spécialiste des révoltes populaires du Grand Siècle, estima qu'une dizaine de personnes trouvèrent la mort lors de cette journée particulière.

Pendant les premières semaines de la sédition, qui dura plus de deux mois,  l'attitude de la  municipalité moulinoise et de la garde bourgeoise fut loin d'être en adéquation avec les dépositions consignées lors de la sortie de crise. Le combat contre la fiscalité royale étant favorable à leurs intérêts, les édiles se montrèrent au début de l'agitation plutôt conciliants vis-à-vis des émeutiers. Mais voyant qu'aucune solution de sortie de crise n'était envisageable face à l'Etat royal, la position de la bourgeoisie moulinoise évolua peu à peu, notamment après le 15 juillet où lors d'une nouvelle émeute plusieurs « bonnes maisons » furent pillées par la foule en colère. La situation ne fut reprise en main que dans la nuit du 24 au 25 août durant laquelle trois des chefs de la révolte, Rivet, Moladier et Bernardon furent arrêtés par la garde bourgeoise, jugés sommairement et exécutés. De violents échauffourées se déroulèrent alors aux portes de la ville où deux émeutiers trouvèrent la mort. Dans les jours qui suivirent trois régiments envoyés par le Prince de Condé prirent garnison chez l'habitant afin de réduire à néant les velléités de la ville. La justice royale fit alors son œuvre : plusieurs condamnations aux galères, au bannissement et à de fortes amendes furent prononcées. Cependant, comme souvent sous l'Ancien Régime, le roi, par le biais de Lettres de rémission, gracia une grande partie des  condamnés.

S. HUG

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