lundi 2 janvier 2017

Tartarin et Puravet : deux anarchistes du Pays lapalissois

Confrontée à la fois à la crise politique du boulangisme et à la crise morale et financière de Panama, la France des années 1880-1890 subit au même moment les assauts des mouvements anarchistes.
En réaction à cette "Troisième République affairiste", l'anarchiste Auguste Vaillant lança en 1893 une bombe dans l'hémicycle du Palais-Bourbon. L'attentat fit 34 blessés. Quelques mois plus tard, le 24 juin 1894, l'anarchiste italien Caserio assassina à Lyon le président de la République, Sadi Carnot.

C'est dans ce contexte que la Cour d'Assises de l'Allier jugea, lors de sa session d'août 1894, une série d'affaires dans lesquelles les accusés étaient poursuivis pour avoir fait l'apologie de l'assassinat du Président de la République. Parmi ces prévenus, figuraient deux Commentryens particulièrement virulents ainsi que deux Lapalissois Tartarin et Puravet :

Jean-Marie Tartarin est né le 15 novembre 1846 à Droiturier, il est marié et père de trois enfants.

Le 25 juin 1894, dit l'accusation, Tartarin, anarchiste bien connu, se trouvait à Lapalisse et conversant avec diverses personnes dans une boulangerie, il aurait tenu les propos suivants au sujet de l'assassinat du Président Carnot : "C'est bien fait ! il a assez fait couper de têtes, c'est bien son tour!" Quelques instants après, il rencontra dans la rue un sieur Berger et lui dit, en faisant allusion au même événement : "Cette fois il y est, c'est bien son tour, une canaille de moins." Tartarin est redouté dans la commune, il a déjà subi plusieurs condamnations.

Le casier judiciaire de Tartarin portait déjà trois condamnations dont deux pour coups et blessures et une pour bris de clôture.


"Je ne m'occupe pas de politique, déclare l'accusé, je ne professe point les idées anarchistes qu'on me prête, et s'il m'est parfois arrivé de prendre la parole dans des réunions politiques, ce n'a jamais été pour développer ces idées qui, je le répète, ne sont pas les miennes."

Tartarin nia les deux propos relevés contre lui. A la boulangerie Coratte, il se serait exprimé ainsi en parlant de l'assassinat de M. Carnot : "Ma foi, tant pis". Dans la rue, il n'aurait rien dit de ce que rapporte l'acte d'accusation. Etiez-vous ivre ? lui demanda le Procureur de la République. Tartarin répondit qu'il était en proie à une certaine émotion, mais cette émotion lui avait été causée par la nouvelle de l'attentat de Lyon.

On entendit ensuite les témoins, tous de Lapalisse :

M. Coratte, boulanger, lisait en présence de Tartarin et de Mahuet, dans une salle attenante à la boulangerie, salle dont la porte était ouverte, un journal de Lyon, rapportant l'attentat commis contre M. Carnot, lorsque l'accusé s'écria : "C'est bien fait, il a assez fait couper de têtes, c'est bien son tour !" M. Mahuet, menuisier, fit une déposition dans laquelle il est précisé que l'accusé aurait dit : "C'était sans doute son tour, il en a assez laissé tuer d'autres !"


La femme Pétin, qui était présente à la lecture du journal, n'a pas entendu les paroles imputées à Tartarin, mais elle a entendu celui-ci déclarer qu'il était anarchiste. Mme Coratte déclare qu'à la suite de la lecture du journal, Tartarin s'écrie : "C'était sans doute son tour, il en a assez laissé tuer d'autres !" M. Mahuet, indigné, reprit alors : "Il faudrait que tous les anarchistes soient guillotinés !"
Ce à quoi Tartarin aurait répondu : "J'en suis un !"

Me Blandin présenta ensuite la défense de Tartarin qui fut finalement acquitté.

Le second accusé, Gilbert Puravet, est parent de Tartarin, il est marié et père de deux enfants, il a déjà été condamné à une peine de prison pour vol. Il a habité à Lapalisse où il a fait divers métiers. Depuis le mois de mai dernier, il résidait à Vichy, où il tenait l'emploi de pisteur dans l'un des hôtels de cette station thermale.


Le 25 juin, dans la matinée, il se rendait précisément à Saint-Germain-des-Fossés pour y racoler les voyageurs, lorsque, sur le quai de la gare, il entendit deux voyageurs qui s'entretenaient du meurtre de M. Carnot et exprimaient tout haut la vive indignation que leur causait cet horrible attentat. D'après ces deux voyageurs, l'accusé se serait approché d'eux et aurait ainsi émis son opinion sur le crime : "On l'a tué, c'est bien fait, il n'a que ce qu'il méritait. Et d'ailleurs, il ne valait pas grande monnaie !" En entendant ce propos, un autre voyageur, qui se trouvait dans un train en partance, descendit de son compartiment et alla dénoncer Puravet au gendarme de service qui l'arrêta séance tenante.


L'accusé soutint qu'il n'a point prononcé les paroles qu'on lui reproche. Je n'approuve pas l'assassinat de M. Carnot, déclara-t-il. J'en éprouve, au contraire, un grand regret.

On entend les témoins :

M. Rousseau, maître d'hôtel, se trouvait avec M. Moinard lorsque l'accusé a fait l'apologie du meurtre de M. Carnot. Il a parfaitement saisi les propos de Puravet qu'il a ainsi apostrophé : "Gredin que vous êtes, quand on pense des paroles de ce genre on ne les prononce pas !" M. Moinard, garçon d'hôtel, confirme en tous points le témoignage de M. Rousseau.
Le gendarme Roghi déposa que ce fut sur une dénonciation portée par un voyageur, dont il n'a pas pu prendre le nom, qu'il a procédé à l'arrestation de l'accusé. L'attitude de ce dernier avait causé une telle indignation dans toute la gare, qu'il fut sur le point d'être écharpé. déjà toutes les cannes se levaient sur sa tête, lorsque le témoin l'entraîna vers la caserne de gendarmerie.

Après le réquisitoire prononcé par M. Beaugrand, procureur de la République et la plaidoirie de Me Blandin, le jury se retira pour délibérer. Il acquitta Puravet.


S. HUG

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